Une place de géant pétrolier et gazier
Une place de géant pétrolier et gazier
À quelques mois de l’entrée en exploitation de Grand Tortue-Ahmeyim et de son gisement voisin, Sangomar, la société des pétroles du Sénégal, détenue à 99 % par l’État, réaffirme ses ambitions : faire du pays un futur géant des hydrocarbures.
C’est imminent. L’entrée en exploitation de la phase 1 du gigantesque projet pétro-gazier de Grand-Tortue Ahmeyim (GTA) et de son gisement voisin, Sangomar, exploités respectivement par la major britannique BP et la compagnie australienne Woodside, interviendra en fin d’année. L’ambition du gouvernement sénégalais, via son bras armé, la Société des pétroles du Sénégal (Petrosen), est de faire du pays un futur géant des hydrocarbures, avec des recettes d’exportations avoisinant les 900 milliards de F.CFA (1,37 milliard d’euros) sur la période 2023-2025.
« Nous souhaitons réinvestir les ressources pétrolières et gazières dans les secteurs de l’éducation et de la santé, dans les infrastructures, mais aussi assurer une production d’électricité à moindre coût, en abondance et respectueuse de l’environnement, en utilisant du gaz, qui est moins polluant que le pétrole. »
Un peu plus de quarante ans après sa création, Petrosen a achevé sa mue. Créée en 1981, la société était à l’origine chargée d’assurer la promotion du bassin sédimentaire sénégalais. En 1998, la société a commencé à couvrir la chaîne de valeur de l’amont pétrolier, puis à signer des contrats internationaux, ce qui a permis de faire des découvertes de classe mondiale entre 2014 et 2016. Dans la foulée, au mois de novembre 2019, pour répondre au mieux à cette nouvelle manne pétrolière et gazière, le gouvernement a procédé à vaste lifting de la société nationale, en créant deux filiales qui sont aujourd’hui placées sous la responsabilité d’Adama Diallo, directeur général de Petrosen.
La première, chargée de l’exploration et de la production (E&P) est actuellement dirigée par le technicien Thierny Seydou Ly, qui a travaillé plusieurs années pour le compte de Total, à Paris, au Nigeria, au Gabon et en Angola. La seconde, Petrosen Trading & Services (T&S) spécialisée dans l’approvisionnement du marché en produits pétroliers, ainsi que dans les activités de distribution, est pilotée par l’ambitieux Manar Sall, ancien cadre d’Exxon et d’OiLibya, qui revendique « 29 ans d’expérience dans le pétrole ». Son credo : « La façon la plus simple de s’assurer que les ressources naturelles profitent un maximum au peuple, c’est que la distribution soit gérée par une société nationale qui, à la différence d’une société privée, n’a pas forcément vocation à réaliser un profit maximal. » Manar Sall cite les exemples des sociétés nationales étrangères comme Petrobas (Brésil), Petronas (compagnie pétrolière malaisienne), Equinor (Norvège) ou encore Sonatrach (Algérie).
En 2022, Petrosen a discrètement repris le contrôle de la majorité du capital de la Société africaine de raffinage (SAR), dont la société nationale détient aujourd’hui 93,5 %. La capacité de production de pétrole de cette dernière raffinerie est récemment passée de 1,2 à 1,5 million de tonnes par an, avec comme perspective le traitement du pétrole brut extrait du champ de Sangomar.
De nombreux projets dans l’amont
Petrosen possède également 51 % du Réseau gazier du Sénégal (RGS). En ce qui concerne les champs pétroliers et gaziers, Petrosen possède 20 % de la partie sénégalaise de GTA et 18 % de Sangomar. La société nationale détiendra également une partie du champ gazéifère offshore de Yakaar-Teranga, qui devrait faire l’objet d’une décision finale d’investissement d’ici début 2024, et dont le gros de la production devrait être destiné à la consommation locale, notamment à la production d’électricité – le gouvernement espère que l’accès à l’électricité, qui est de 65 % aujourd’hui, sera universel en 2025. « Nous couvrons toute la chaîne, de l’amont à l’aval. Nous avons l’ambition raisonnable de devenir un géant pétrolier et gazier », résume Manar Sall, directeur général de Petrosen T&S.
Depuis sa création, fin 2019, Petrosen T&S avance doucement mais sûrement sur le volet de la distribution de produits pétroliers. Le directeur général de 58 ans aimerait mailler le territoire avec 120 à 130 stations estampillées Petrosen d’ici quatre ou cinq ans, « de manière que les Sénégalais n’aient pas plus de 20 km à parcourir pour trouver de l’essence ». Actuellement, onze stations, six terrestres et cinq maritimes, ont déjà été inaugurées.
L’objectif à terme de Manar Sall est de dépasser les leaders du secteur que sont TotalEnergies (qui dispose d’un réseau de plus de 170 stations-service), ainsi que Vivo Energy, OLA Energy (ex-OiLybia) ou Oryx Energies. Depuis 2022, la filiale aval de Petrosen propose une application mobile qui permet aux usagers d’acheter ou de transférer du carburant, à l’aide d’un QR code, dans plus de 200 stations-service partenaires.
Petrosen T&S devrait également se lancer d’ici quelques mois dans la distribution de gaz butane, pour en démocratiser l’accès tout en luttant contre la déforestation, liée notamment à la production de charbon de bois. « Aujourd’hui, les gens n’ont pas accès aux bouteilles de gaz butane dans les zones éloignées, le prix devient un facteur limitant à cause des frais de transport. Nous allons investir dans des centres emplisseurs de gaz, de manière que les prix soient les mêmes à Dakar ou dans les régions », indique Manar Sall.
Autre projet d’envergure : depuis février, la filiale Senegal Fertilizer Compagny (Sefco), chargée de la construction d’une unité de production d’urée (engrais) d’une capacité de production d’1,2 million de tonnes par an, dont le site industriel sera basé au niveau du port de Ndayane. L’investissement, estimé à 1,45 milliard de dollars, en fera l’un des chantiers les plus coûteux de l’histoire du pays, derrière les champs pétroliers et gaziers Sangomar et GTA, qui ont coûté environ cinq milliards $. L’usine, qui devrait entrer en production d’ici fin 2027, devrait permettre une baisse des importations d’engrais, une réduction du déficit de la balance commerciale et une amélioration de la productivité agricole. « De quoi permettre au pays de se rapprocher de son objectif de souveraineté alimentaire », indique Manar Sall.
Le gros de son chiffre d’affaires – qui est passé de 56,8 milliards de F.CFA en 2021, à 525 milliards en 2022 (800 millions d’euros), en 2022 –, Petrosen T&S le réalise toutefois à 90 % sur la partie trading. « Nous assurons et sécurisons l’approvisionnement du pays en produits pétroliers, en complément de la production de la Société africaine de raffinage (SAR) », précise Manar Sall. En 2022, la SAR a connu une période de maintenance, ce qui a légèrement gonflé le chiffre d’affaires de Petrosen T&S, qui devrait se stabiliser « à 300-350 milliards de F.CFA en 2023 ».
Un accélérateur de l’industrialisation
De son côté, la filiale de Petrosen E&P poursuit ses activités d’exploration. « Nous continuons aussi nos activités de promotion dans l’objectif de signer des contrats avec de nouvelles compagnies pétrolières. Nous participons notamment à des conférences internationales. Car nous disposons de trente blocs avec un fort potentiel et des données disponibles ; parmi ceux-ci, seuls huit sont sous contrat », indique le directeur général, Thierno Seydou Ly. L’État pourra détenir jusqu’à 30 % de ces gisements, selon le Code des hydrocarbures adopté en 2019.
L’homme de 40 ans se projette sur les cinq à dix prochaines années à venir. « Au niveau national, nous souhaitons réinvestir les ressources pétrolières et gazières dans les secteurs de l’éducation et de la santé, dans les infrastructures, mais aussi assurer une production d’électricité à moindre coût, en abondance et respectueuse de l’environnement, en utilisant du gaz, qui est moins polluant que le pétrole. Pour résumer, on entend faire du secteur pétrolier et gazier un accélérateur de l’industrialisation du pays, de manière à atteindre l’émergence. » Et sur le plan continental ?« Notre objectif, c’est que Petrosen devienne une référence en Afrique, et même au-delà », indique Thierno Seydou Ly. Lors d’une conférence récemment organisée au Nigeria, la Sub Saharan Africa International Petroleum Exhibition and Conference (SAIPEC), Petrosen a été élue par ses pairs « Compagnie nationale de l’année 2022 ». Le directeur général de Petrosen T&S, Manar Sall, se montre très optimiste quant aux années à venir. « Les lendemains vont chanter, j’en suis persuadé. »
Le Magazine de l’Afrique