Africaleadnews – (Senegal) Les rayons de lumière ont convergé vers lui quand son illustre frère, Abdoulaye Elimane Dia « Kalaajo », maire de Démette (Podor) et perspicace homme d’affaires à la générosité louée, a rendu le dernier soupir. Mamadou Elimane Dia, pour ne pas le nommer, rallonge le récit de succès de leurs vies imbriquées. Nouvel édile de la commune de Démette et continuateur de l’œuvre imposante de son aîné sous diverses coutures, il garde le cap tout en imprimant sa patte.
Les tribulations de Lucas et Nathan, personnages de la célèbre série américaine « Les frères Scott », ont bordé leur allée fraternelle d’étiquettes alambiquées. Tout ce que la vie donne à voir de beau et de disgracieux quand règne le tumulte des passions. Le récit de fraternité des frères Dia, le défunt Abdoulaye Elimane « Kalaajo », et son cadet, Mamadou Elimane, longe la berge des souffles de grandeur. Souffles d’harmonie où s’exprime audacieusement le sublime génie de deux frères unis par le sang et les sentiments, mais conservant chacun son identité. Le jeune frère Mamadou Dia est atypique, ne se soumettant pas au supplice du carcan des convenances sclérosantes. « Je ne serai jamais mon frère ». Qui dit mieux. Sans fard. Et la voix traînante. Abdoulaye Elimane Dia, lui, était le prototype d’un diptyque qui combinait deux qualités : la générosité et le sens des affaires. Ses vertus se sont propagées à tous les échos. « Kalaajo », plus qu’une signature, est bien devenu cet hymne au labeur et à l’altruisme.
Un triste soir d’août 2021, Abdoulaye Elimane Dia, prospère et ingénieux Président directeur général du holding Fortunes Capital, atteint le rivage noir après avoir embrassé l’éternité grâce à son œuvre utile. « C’était brusque et brutal », confie Mamadou, son « vieux » compagnon avec qui il est entré dans le giron de l’excellence. Les chaumières sont bouleversées par la mort de celui qui était alors le maire de la commune de Démette, dans le département de Podor. L’horizon se couvre en même temps qu’il dévoile l’immensité de l’héritage politique, économique et social que devra bien assumer quelqu’un. Ainsi, convergent vers Mamadou Dia les rayons de lumière ; lui que même les lueurs incommodent. « Quand on est mis brutalement face à une réalité, on grandit. Je crois que la mort de mon frère a été un séisme quelque part. Après le temps de l’émotion et une douleur dévastatrice, mon rôle était de continuer l’aventure malgré tout. C’est ce qu’il attendrait de moi. Ça n’a pas été simple car être devant est quelque chose de très délicat », soutient, le regard perdu, Mamadou Dia, actuel Président directeur général de Fortunes Capital. Le mandataire, qu’il est devenu, doit désormais, à sa manière certes, entretenir la flamme de l’espoir et endormir la douleur irradiant de ses souvenirs qui refluent.
« JE NE SERAI JAMAIS MON FRÈRE »
Cette bien émouvante effusion du natif de Balinghore, dans le département de Bignona, où son père enseignait, témoigne de l’admiration qu’il éprouve pour son aîné : « Tant qu’il était là, je n’avais aucune responsabilité au-delà du rôle de technicien à son service. Manager tout ce monde sur trois registres différents, politique, social et économique, j’ai dû apprendre. J’ai appris dans la douleur. Je suis tombé aussi. J’ai beaucoup douté, je me suis cherché. Peut-être bien que j’ai fait des erreurs. Mais ne dit-on pas que l’expérience est la somme de toutes les erreurs qu’on a faites. J’ai dû mûrir, grandir pour faire face ».
Entre l’ancien élève du lycée Charles de Gaulle de Saint-Louis, où il a obtenu son baccalauréat littéraire (sorti major) en 1994, et le défunt Abdoulaye Elimane Dia, c’est l’histoire d’un cheminement fécond. Chacun a fait son chemin avant de longer ensemble l’allée de prouesses qui inspire aujourd’hui au-delà de leur communauté affective. Après de brillantes études et une maîtrise en droit des Affaires, l’aîné a investi l’entrepreneuriat, se laissant aiguiller par son flair et ses convictions. Le temps est témoin de sa consécration. Le cadet, lui, a brillamment soutenu sa thèse de doctorat en sociologie à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. Passionné de savoir et mettant de l’ardeur dans les études, il est également titulaire d’un Mba en Gestion de projet, programme et portefeuille. Et ce n’est pas fini : « Je suis présentement doctorant en diplomatie économique au Centre des études diplomatiques de Dakar ».
DU CAFÉ ET UN ROMAN
Auparavant, après le Diplôme d’études approfondies (Dea) à l’Ugb, il était chargé de projet à Enda Tiers-Monde pendant presque une décennie, plus précisément à Enda Ecopop. Après cette expérience, il a travaillé en free-lance comme consultant pour des bureaux d’études. Un « intermède » qui l’a mené au Togo, au Mali… « Je suis ensuite retourné à Enda. Et c’est de là que mon frère Abdoulaye, qui avait démarré une activité en Guinée-Bissau, m’a invité à le rejoindre. C’était en 2008. On y a créé une entreprise de trade. On achetait de la noix d’anacarde qu’on acheminait vers l’Inde », se souvient-il. À cause de l’instabilité politique en Guinée-Bissau, « Kalaajo » revient au Sénégal pour y investir en 2009. « Nous avons créé une entreprise d’agrobusiness que je pilotais en relation avec le Programme de développement agricole de Matam (Prodam) », se rappelle Mamadou Dia.
Les trajectoires des deux frères sont donc intimement liées même si chacun s’est construit une personnalité et a charpenté sa propre histoire. La comparaison n’est-elle pas quelquefois incommodante ? « Oui, parfois. J’ai ma façon de voir, d’agir. On a toujours travaillé en symbiose. Il m’a toujours voué un respect, parfois même exagéré. Il n’a jamais eu besoin de me dire dans les détails ce qu’il veut. J’ai ma personnalité propre. Je n’ai jamais voulu singer mon frère. Je ne serai jamais mon frère. Il a sa nature propre. J’ai la mienne ! », insiste le jeune frère.
Feu Abdoulaye, c’est cette volonté inébranlable de servir. Servir les autres, leur cause. C’était sa passion. « C’est quelqu’un qui est peut-être même plus accessible que moi je ne le suis. Le sens du partage, c’est ce qui le caractérisait. Même ses déboires, parce qu’il en a eu, sont le résultat de sa volonté de partager, son altruisme. Il avait le sentiment qu’il devait donner à tout le monde. Et il en a donné. À des pauvres et à des princes », confie Mamadou Dia devant une de ses assistantes qui s’émeut de le voir se laisser aller à la confidence. En effet, cet homme, un tantinet singulier, ne se livre pas assez souvent à cet exercice d’après ses proches. « Les rares fois que je l’accompagnais dans ses activités politiques, poursuit-il, jusqu’à quatre heures du matin, les couloirs étaient remplis de monde alors que moi, avec du café et un roman, je peux m’enfermer pendant 48 heures. Les gens avaient l’outrecuidance de taper à sa porte pour le réveiller. Mais je ne l’ai jamais vu se départir de son calme. Alors, je préférais aller dormir chez une cousine à côté », se souvient-il.
DÉMETTE, LE TÉMOIGNAGE DE RECONNAISSANCE
À la disparition de son illustre frère, Mamadou Dia était obligé de supporter un pan de cet héritage dont celui-là politique. Son aîné, alors leader charismatique de l’Alliance pour le développement et l’émergence de Podor et surtout maire de Démette, avait fini par s’imposer comme un des acteurs majeurs de la vie politique au Fouta Toro. Et comme pour saluer sa mémoire, les populations portèrent en triomphe son frère cadet, Mamadou Dia, lors des élections locales du 23 janvier 2022. Belle et émouvante onction populaire. Le nouvel édile ne se nimbe point de l’auréole de gloire : « Abdoulaye avait des liens très forts avec sa communauté. Sa disparition a été brusque. Les gens n’étaient pas préparés à ça. Cela s’est passé en deux semaines. Alors, il y a eu un choc. Le remplacer par son frère à la tête de la mairie leur permettait peut-être de faire le deuil. Mais, au-delà de cette émotion qui s’est emparée de la communauté, je crois aussi que c’était le destin. Il a conquis cette mairie dans la douleur. Ça a été violent, houleux. Cependant, pendant les sept années qu’il a été à la tête de la mairie, il a réconcilié tout le monde. Il n’y avait plus de camp. Il n’a jamais voulu m’associer à la chose politique. Ainsi, lorsque je me suis investi politiquement, je n’avais pratiquement pas d’ennemi ».
Le reste se passe comme sur des roulettes. Toutefois, le sociologue n’a consenti à ce compromis, qui le sort de sa zone de confort, qu’à une condition : rester lui-même dans la concrétisation des aspirations collectives. L’efficacité dans l’effacement. Ce langage de vérité est celui-ci : « Si vous voulez que je devienne maire parce qu’Abdoulaye répondait favorablement à toutes les sollicitations, je ne suis pas votre homme. Je n’ai pas sa légitimité ni sa posture. Mais je suis assez outillé pour savoir comment conduire une commune ».
Car, avant même d’être maire, dans le cadre d’activités professionnelles à Enda et dans des bureaux d’études, « j’ai fait des plans communaux de développement en tant que consultant. J’ai travaillé sur la décentralisation et fait une formation de formateur en gouvernance locale. C’est mon univers de technicien. Je peux servir la communauté avec un autre style. Evidemment, tu ne peux pas toujours échapper », dit-il, le sourire charmant et discret.
LA POLITIQUE ET LA MENTALITÉ INHIBITRICE
Depuis ce tacite compromis, Mamadou se voit adjoindre le surnom de « Kalaajo Junior ». Avec un peu d’embonpoint et une humeur apprivoisée, le « junior » aurait pu allègrement sauter ! Et peut-être bien plus s’ils avaient la même démarche politique. La sienne, le magistrat municipal la déroule dans ce qu’il considère comme un Think tank, Synergies républicaines pour le progrès, creuset d’idées fécondes et diverses au service de l’aventure collective et du Sénégal à venir. Ce mouvement pose des problématiques de développement. Car, pour lui, le plus grand chantier dans les pays en développement, c’est l’infrastructure mentale, l’éducation. Et les responsabilités se situent au-delà des clivages et petites appartenances. Tout le monde en prend pour son grade : « Arrêtons de croire que la République, c’est un gâteau. Arrêtons de jouir de l’impunité parce qu’on est au pouvoir. Quelqu’un est venu me dire que le Président Macky Sall doit te nommer parce que tu as fait un score à la soviétique à Démette. Cette mentalité est inhibitrice. Et ces partis politiques dits de l’opposition reproduisant les mêmes tares qu’ils reprochent au pouvoir ». C’est dit.
À la charnière de ses obligations quotidiennes, sa routine et de sa « tendre passion » des Lettres, son refuge, Mamadou Dia se voyait dans les « amphithéâtres à converser », à transmettre. L’expression d’un autre sens du partage. Son père, qui l’a obligé à rejoindre son frère après que celui-ci l’y a invité, a été bon prophète. Le petit frère devait poursuivre la success story.