La garde à vue de l’ancien Premier Hadjibou Soumaré (premier degré sur l’escalier conduisant vers le mandat de dépôt) est un fâcheux événement sans précédent (ou presque) dans l’Histoire politique du Sénégal indépendant. Il faut remonter jusqu’aux deux premières années de l’indépendance, en décembre 1962, pour dépoussiérer la mise aux arrêts de l’ex-Président du Conseil, Mamadou Dia, et de ses fidèles amis.
La comparaison, au demeurant, s’amorce et se fige aussitôt. Car le Premier ministre d’alors était en exercice. Ce qui planta d’emblée un décor de duel ou d’épreuve de force au sommet de l’État entre le chef du gouvernement Mamadou Dia qui gouvernait pleinement ; et le Président de la république Léopold Sédar Senghor qui, lui, humait quotidiennement le parfum des chrysanthèmes.
Quarante deux ans plus tard, en 2004, le Premier ministre Idrissa Seck est débarqué et arrêté pour des motifs officiellement liés à l’exécution des chantiers de Thiès. Une affaire qui entre réellement ou fictivement dans la rubrique des malversations et autres faits de détournement ou de corruption. À mille lieues de ce qui fut reproché à Mamadou Dia et de ce qui motive présentement la garde à vue de Hadjibou Soumaré.
Aujourd’hui, c’est un ancien Premier ministre devenu acteur politique dans les rangs de l’Opposition qui balance une salve de questions. Les interrogations étant le cœur du réacteur pour emprunter le vocabulaire de l’aéronautique, s’impose alors la nécessité de poser justement un regard appuyé sur le cœur… grammatical du réacteur.
En grammaire élémentaire, une question est une phrase qui se termine par un point d’interrogation. Ni point final ni point d’exclamation aux extrémités des phrases alignées dans la lettre ouverte de Hadjibou Soumaré ! Pas de traces d’affirmations ; point de bribes d’accusations !
Bien entendu, ces questions adressées au chef de l’État véhiculent habilement, subtilement et astucieusement des insinuations.
À ce titre, elles peuvent brouiller et bousiller l’image de la première institution du pays, en l’occurrence Macky Sall. Avec d’autant plus de ravages qu’un ancien Ministre du Budget du Sénégal, longtemps aux commandes de l’UEMOA, possède forcément une voix autorisée sur les mouvements de fonds. Vu l’épaisseur professionnelle du personnage, on soupçonne, à tort ou à raison, qu’il a des sources intérieures ou extérieures très fiables.
Toutefois, l’affrontement dans l’arène politique, sous tous les cieux démocratiques, ne se fait pas à coup de cadeaux mais à coup de…coups bas. À ce propos, on peut dire que l’Histoire bégaie. Sous l’ère Wade, Moustapha Niasse avait parlé des six milliards de la SONACOS dilapidés par le PDS dans une campagne électorale. Bien que très furieux, le Président Abdoulaye Wade fit quand même demi-tour dans sa volonté d’expédier son ancien Premier ministre et colistier de mars 2000 en prison.
Dans cette fâcheuse Affaire Hadjibou Soumaré, tout pue distinctement la politique. Elle se passe dans un contexte d’effervescence politique, avec trois protagonistes également politiques : Hadjibou Soumaré, Marine Le Pen et Macky Sall. Même si la diffamation et la diffusion de fausses nouvelles sont retenues, de telles charges afficheront visiblement leurs racines politiques. Par voie de conséquence, la politique de la sérénité et la pédagogie dans la communication bien déployées peuvent adéquatement y supplanter la Sûreté Urbaine c’est-à-dire la Police.
En effet, un démenti bien travaillé, truffé de solides arguments et enrobé d’un mélange de dédain et d’aplomb à l’égard de la démarche de l’auteur des questions, est, à mon avis, de loin préférable à l’emprisonnement de l’ancien Premier ministre et ex-Patron de la Commission de l’UEMOA, dans un climat déjà électrisé par la véhémence des débats (sans consensus) autour de la Constitution et par les fameux procès en perspective.
Le pays est assez bourré de tensions latentes et larvées. Et la corde est raide. Que Dieu préserve le Sénégal du syndrome Boubèye Maïga, l’ancien Premier ministre du Mali mort en détention.
Babacar Justin Ndiaye