Depuis le 5 février dernier, le chef de l’Etat assume la charge de président en exercice de l’Union africaine avec un agenda international surbooké. En même temps, il s’investit à fond dans les tâches domestiques en attendant de pouvoir s’appuyer sur un Premier ministre qui devrait être connu après les Législatives du 31 juillet prochain.
Macky Sall a passé ce dimanche 15 mai cent jours à la tête de l’Union africaine. Il a pris fonction le 5 février dernier à Addis-Abeba, en Ethiopie, lors du 35e Sommet de l’Organisation. Depuis plus de trois mois donc, il est au four et au moulin, partagé entre ses engagements sur la scène internationale et ses obligations de président de la République.
Il avait bien appréhendé l’ampleur de cette double responsabilité. Le chef de l’Etat l’avait invoquée pour justifier le retour du poste de chef du gouvernement qu’il avait gommée de l’architecture institutionnelle après sa réélection en 2019. «Je ne peux m’occuper du Sénégal au quotidien. Or, il faut s’occuper du Sénégal au quotidien, il faut donc un Premier ministre pour le faire», avait-il confié à RFI et France 24.
Macky Sall avait promis de faire son choix après les Locales du 31 janvier dernier. Il avait dans cette perspective invité ses ministres à mettre de l’ordre dans leurs dossiers. Mais au rythme où vont les choses, le suspense risque de se prolonger jusqu’après les Législatives du 31 juillet prochain.
Le camp présidentiel juge ce timing cohérent. «Cela n’aurait pas de sens de mettre en place une nouvelle équipe pour quelques mois», défend «un proche de l’exécutif» cité par RFI.
Ligne de crête
En attendant de pouvoir s’appuyer sur un Premier ministre, le chef de l’Etat est «seul» sur deux fronts en mode surchauffe. D’une part, la crise en Ukraine et celle de la Covid-19, avec leurs conséquences sur les relations et échanges internationaux. De l’autre, la demande sociale nationale qui ne faiblit pas malgré les avancées. Il doit jouer à l’équilibriste habile sur une ligne de crête suspendue au-dessus deux mondes éloignés mais parfaitement connectés.
Macky Sall multiplie les appels à la «désescalade sur le théâtre ukrainien». L’un des derniers remonte à début mai, en marge de la visite au Sénégal du secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres. Au cours de la conférence de presse conjointe animée par les deux hommes, il a annoncé que l’Afrique œuvrera pour la paix entre Ukrainiens et Russes en privilégiant le dialogue avec les deux belligérants et en associant toutes les autres parties impliquées dans le conflit. C’est dans cet esprit qu’il s’est entretenu au téléphone successivement avec Vladimir Poutine et Volodymyr Zelensky.
Le 9 mars, Macky Sall a échangé avec le Président russe «pour solliciter un cessez-le-feu durable en Ukraine». «Je salue son écoute et sa disponibilité à maintenir le dialogue pour une issue négociée du conflit», a déclaré le chef de l’Etat sur Twitter après l’entrevue avec le chef du Kremlin.
Un mois plus tard, c’était le tour du Président ukrainien. «J’ai noté sa demande de faire une communication à l’UA, a révélé Macky Sall sur Twitter. Nous avons évoqué l’impact de la guerre en Ukraine sur l’économie mondiale et la nécessité de privilégier le dialogue pour une issue négociée du conflit.»
Kiev a pour sa part déclaré qu’au cours de l’entretien avec son homologue sénégalais, Zelensky «a pris note de la déclaration de l’Union africaine en date du 24-02 sur le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine et l’a informé de (sa) lutte contre l’invasion et les crimes odieux de l’agresseur russe».
Tous les chemins mènent à Dakar
Entre les deux entretiens téléphoniques, Russes et Ukrainiens ont multiplié en coulisses les initiatives auprès du président de l’UA. Par exemple dans la nuit du 30 au 31 mars, le Président du Tatarstan, RoustamMinnikhanov, a effectué une visite discrète à Dakar. Jeune Afrique, qui donne l’information, révèle que ce proche de Vladimir Poutine a été accueilli par le secrétaire d’Etat aux Sénégalais de l’extérieur, Moïse Sarr, et non la ministre des Affaires étrangères, AïssataTallSall, ou MackySall lui-même, ce qui aurait attiré les regards indiscrets et alimenté les conjectures au vu du contexte de la guerre en Ukraine.
Le Tatarstan est une république russe, située à 800 km de Moscou, au centre de l’ancienne puissance soviétique. Il a été rattaché à la Fédération de Russie dans les années 1990.
Roustam Minnikhanov était déjà venu au Sénégal en 2004. Il était Premier ministre de cet Etat riche en pétrole et composé à majorité de musulmans. Pour son dernier séjour à Dakar, informe Jeune Afrique, il était accompagné d’hommes d’affaires de son pays. La coopération économique entre Dakar et Kazan était donc au menu, mais la guerre en Ukraine pouvait difficilement être évitée lors des discussions entre les deux présidents.
Toutefois, pendant qu’il travaille pour la fin de la guerre en Ukraine, le président de l’UA tente parallèlement de mobiliserla communauté internationale contre son «impact dramatique sur les économies, particulièrement celles des pays en développement» comme les Etats africains.
C’est dans cet esprit qu’il adhère à l’initiative FARM (Food and agriculture résilience mission), lancée par le Président français, Emmanuel Macron, et qui constitue une réponse coordonnée face aux impacts de la crise ukrainienne sur la sécurité alimentaire dans le monde. «Nous sommes heureux d’avoir le Président Macky Sall à la tête des champions de la réponse globale à la crise», a déclaré Antonio Guterres, lors de son passage à Dakar, en révélant avoir évoqué avec son hôte le programme ‘The Never’, qui liste les «mesures urgentes» à prendre en réponse à la crise ukrainienne.
Relations internationales justes
Avant de prendre la présidence de l’UA, le Président Sall manquait rarement une occasion de plaider pour des relations internationales plus justes. Depuis qu’il a pris le relais de son homologue congolais (RDC), Félix Tshisekedi, il garde le même engagement. Et la même verve.
Il plaide pour une réforme du Conseil de sécurité de l’ONU en demandant pour l’Afrique deux sièges de membres permanents avec droit de veto.
Il réclame une révision des règles de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE)«qui entravent l’accès (des pays africains) au crédit export à des conditions soutenables pour le financement (de leurs) projets d’infrastructures de développement».
MackySall continue de dénoncer les critères d’évaluation des menaces sur l’investissement en Afrique. «La perception du risque est plus élevée que le risque réel, ce qui renchérit les primes d’assurance et réduit la compétitivité de nos économies», pointe-t-il.
Aussi, le chef de l’Etat remet toujours en cause le mode de notation des économies africaines, appelle à une accélération du processus de réallocation des Droits de tirage spéciaux (DTS), milite pour une transition énergétique qui tienne compte «des besoins spécifiques» de l’Afrique où 600 millions de personnes n’ont pas accès à l’électricité…
Covid-19 et terrorisme
Ces questions sont au cœur de ses priorités à la tête de l’UA. «Ces enjeux émergent de l’état actuel du monde», a justifié Macky Sall, qui place la lutte contre la Covid-19, qui n’a pas dit son dernier mot, et le terrorisme au cœur de ses priorités de président en exercice de l’organisation continentale. Cinq jours après son intronisation à Addis-Abeba, il a cosigné avec Charles Michel, le président du Conseil européen, une tribune dans laquelle il évoquait ces deux thèmes.
Sur le terrorisme, Sall et Michel prônent une coopération plus poussée entre l’Afrique et l’Europe, et une réponse globale. Ils disent : «Il nous faut poursuivre ensemble la réflexion, sous l’égide de l’Union africaine et de l’Union européenne, pour une meilleure coordination de nos efforts dans cette lutte solidaire contre un ennemi commun. Faire face à ce défi majeur requiert de partir des causes profondes, l’instabilité et la radicalisation, pour aller jusqu’à la résolution durable des crises et à la construction d’une paix réelle et durable.»
Au sujet de la Covid-19, le chef de l’Etat et le président du Conseil européense disent convaincus qu’«au-delà de la solidarité relative au don de vaccins, le défi que nous devons relever ensemble est aussi celui de la production de vaccins et d’autres produits médicaux et pharmaceutiques en Afrique pour satisfaire les besoins essentiels du continent. Nous saluons et soutenons les projets déjà en cours sur le continent».
Guinée, Mali, Burkina, demande sociale…
La situation en Guinée, au Burkina Faso et au Mali reste également une préoccupation de MackySall. S’il se montre ferme contre les coups d’Etat et rappelle souvent que le dossier de ces pays est du ressort de la CEDEAO et non de l’UA, il multiplie les attentions en leur direction.
C’est ainsi que, entre autres initiatives officielles et officieuses, il a échangé à deux reprises au téléphone avec le chef de la junte militaire au pouvoir au Mali, Assimi Goïta. S’engageant à servir d’avocat à la population malienne auprès de ses pairs de la CEDEAO en vue de la levée des sanctions contre leur pays.
Cette hyperactivité internationale n’empêche pas MackySall d’exécuter ses tâches domestiques. Le chef de l’État affiche à ce niveau-là une forme débordante, ce qui fait dire à ses détracteurs qu’il balise le chemin pour la quête d’un troisième mandat en 2024.
Le président de la République inaugure (Stade Abdoulaye-Wade, Pont Mandela de Foundiougne…) et ouvre de nouveaux chantiers d’infrastructures (deuxième phase du TER…)Il a établi un nouveau cadre de dialogue avec les populations, notamment les jeunes (Jokko ak Macky). Il mène son agenda politique en direction des Législatives du 31 juillet prochain. Et il prend des mesures à caractère sociale pour faire face aux impacts de la conjoncture internationale sur la bourse des ménages, particulièrement les plus vulnérables (baisse des prix des denrées, cash transferts…).
Comme quoi, Macky Sall a beau se montrer à l’aise dans son costume de président de l’UA, il ne quitte jamais ses habits de chef de l’État.