Joe Biden ouvre ce jeudi son « sommet mondial pour la démocratie ». Cet événement virtuel, qui réunit une centaine de pays, est au cœur de la politique étrangère du président américain. Mais la liste des invités pose la question des véritables intentions de Washington.
Après quatre ans de présidence Trump, Joe Biden avait scandé « l’Amérique est de retour » et avait promis de revenir à un leadership plus traditionnel des États-Unis. Ce sommet, qui réunit 111 pays ces jeudi 9 et vendredi 10 décembre, s’inscrit au cœur de sa politique étrangère, à un moment où la démocratie recule à travers le monde. « Ce sommet était une pièce maîtresse de la rhétorique de Joe Biden pendant la campagne présidentielle », confirme Jonathan Paquin, professeur titulaire au département de sciences politiques de l’université Laval, à Québec (Canada). « Une fois qu’il a pris le pouvoir, plusieurs observateurs lui ont conseillé de laisser tomber ». Mais Joe Biden a tenu tête.
Première difficulté : constituer une liste d’invités. Washington a fait le tri, sans toutefois détailler précisément le processus de sélection. Le Brésil, la Pologne ou les Philippines sont conviés, mais pas la Hongrie ni la Turquie. « C’était une mission impossible », estime Martin Quencez, directeur adjoint du think tank German Marshall Fund, à Paris. « Il fallait intégrer un certain nombre de pays qui ne représentent pas les valeurs démocratiques, soit parce que ce sont des alliés importants dans le cadre de l’Otan ou d’autres partenariats américains dans le monde, soit parce qu’il n’était pas question d’isoler des pays potentiellement importants dans la compétition avec la Chine ».
Un instrument géopolitique ?
La Chine,n’est pas non plus invitée à ce sommet, contrairement à Taïwan. Également dans la liste des « recalés », la Russie décrit l’événement comme « un instrument pour atteindre des objectifs géopolitiques ». « Au-delà des critères démocratiques, il faut voir que les intérêts stratégiques ont prévalu », commente Jonathan Paquin. « En ce qui concerne la Turquie et la Hongrie, il s’agit de deux pays très critiques face à Washington et qui entretiennent de très bons rapports avec Pékin et Moscou. En revanche dans la liste des invités, on note la présence du Brésil, de l’Inde, des Philippines ou de la Pologne, dont les régimes sont beaucoup plus autoritaires qu’il y a 10 ou 15 ans, mais qui sont résolument dans le camp américain. Ce ne sont pas des démocraties exemplaires, mais ce sont de bons alliés de Washington ».
Les Européens eux-mêmes ont émis quelques réserves ces dernières semaines. Des sources diplomatiques en France laissent poindre des inquiétudes sur la finalité du sommet : l’administration Biden tente-t-elle de constituer un front commun contre Pékin sous couvert de promotion de la démocratie ? Pour Martin Quencez, ces remarques ont été prises très au sérieux par l’administration Biden : « Depuis plusieurs semaines, la communication de Washington est de dire qu’il ne s’agit pas d’un bloc dans le cadre d’une nouvelle guerre froide. Il s’agit de réunir des pays contre le déclin démocratique, autour des questions de lutte contre la corruption, des droits de l’homme ou encore de la liberté d’expression sur internet ».
Une démocratie américaine fragilisée
Le « jour zéro », mercredi, a vu se succéder plusieurs intervenants issus de la société civile. La première matinée de ce jeudi est dédiée aux sessions plénières, à huit clos, des chefs d’État, après un discours d’ouverture de Joe Biden. Les États-Unis organisent ce sommet à un moment où la démocratie américaine, elle-même, est fragilisée.Le pays a dégringolé de onze points en dix ans dans le palmarès de la santé démocratique dans le monde de l’organisation Freedom House, pourtant en partie financée par le département d’État américain. « Une majorité d’États aux États-Unis ont adopté des lois qui rendent plus difficile l’exercice du droit de vote des minorités. Cela s’ajoute à l’œuvre de Donald Trump et à l’attaque contre le Capitole du 6 janvier dernier. C’est une démocratie qui se porte très mal », explique le professeur Jonathan Paquin. « Mais si ce ne sont pas les États-Unis, qui d’autre serait capable de reprendre ce leadership ? Les États-Unis demeurent la première puissance mondiale, c’est encore aujourd’hui une démocratie, et le pays a joué un rôle important dans la démocratisation des pays d’Europe de l’Est au début des années 90. Donc il y a tout de même un héritage démocratique ».
Pour Martin Quincez, Joe Biden a cherché un point d’équilibre entre ce leadership qu’il souhaite assumer, et une certaine humilité face à l’état de la démocratie dans son pays. « On attend de la part des États-Unis non pas l’annonce d’un soutien à des activistes prodémocratie dans des pays autoritaires, mais des changements concernant la démocratie aux États-Unis, une introspection sur le déclin démocratique dans nos sociétés et notamment en Amérique du Nord. C’est là que l’on jugera de la crédibilité de l’administration Biden », ajoute le directeur adjoint du German Marshall Fund. Plusieurs analystes s’attendent à ce que chaque pays formule des engagements sur le plan national, plutôt que de grandes résolutions communes. Les États-Unis pourraient par exemple annoncer une série d’engagements dans la lutte contre la corruption et pour un meilleur encadrement du financement des campagnes électorales. Le sommet de cette semaine est annoncé, par le département d’État américain, comme la première étape d’une année d’action. Des groupes de travail doivent se réunir tout au long de l’année avant un deuxième sommet prévu dans un an.