Economie

Cheikh Tidiane Sy identifie les 6 F qui freinent la création d’emplois

Cheikh Tidiane Sy identifie les 6 F qui freinent la création d’emplois

L’un des plus grands défis auquel fera face le nouveau président de la République Bassirou Diomaye Faye est la question de l’emploi. À deux jours de la prestation de serment du président élu, l’ingénieur agro économiste, ancien banquier et administrateur de sociétés, Cheikh Tidiane Sy livre, dans cette contribution, les six « F » qui freinent la création de l’emploi. Loin de s’en limiter au diagnostic, Cheikh Tidiane Sy prescrit aussi une ordonnance.
 
 
La création d’emplois au Sénégal est confrontée à  la tyrannie des 6F que sont le foncier, la fiscalité, le fuel, la formalisation des entreprises, la formation des acteurs et last but not least le financement. 
 
1. Le foncier:
 
Le secteur agricole est identifié comme le levier de la création d’emplois en milieu rural. La principale contrainte à son développement demeure le statut du foncier qui ne permet pas de sécuriser les investissements agricoles. Il ne s’agit pas de privatiser les terres au profit d’un groupe ou d’individus. Il s’agit de définir des règles de sécurisation du foncier pour celui qui l’exploite, qu’il soit un entrepreneur privé ou une collectivité. Faut-il le dire, les spéculateurs fonciers se retrouvent dans les deux camps. D’une part, nous avons Des privés qui s’accaparent des terres afin de lever des fonds ou les revendre lorsque ces terres gagnent de la valeur. D’autre part, il y a Les populations qui n’ont aucune intention de cultiver et qui attendent qu’un privé sérieux se présente pour spéculer ou lui empêcher d’exploiter arguant l’appartenance de la terre à ses ancêtres. 
 
2.  Le fuel 
 
Le coût de l’énergie et du carburant constitue la deuxième contrainte à la compétitivité de nos entreprises. Avec la perspective de l’exploitation du pétrole, le coût devrait être revu à la baisse pour atteindre les standards internationaux 
 
3.  La fiscalité
 
Les entreprises sénégalaises subissent une pression fiscale énorme due à l’étroitesse de l’assiette fiscale en raison d’une économie dominée par le secteur informel. Les besoins en investissement et la macrocéphalie de l’Etat exigent des ressources incompressibles pour ne pas creuser le déficit budgétaire. 
On se retrouve dans un cercle vicieux où des entreprises surtaxées deviennent moins compétitives, limitant ainsi leur capacité à pourvoir des emplois, tandis que le grand lot des entreprises informelles échappent au fisc. 
La fiscalité a un impact direct sur le pouvoir d’achat des sénégalais, en particulier en renchérissant le coût de production et d’importation des matières premières et produits finis. Elle grève ainsi le pouvoir d’achat des sénégalais, rendant plus perceptible les effets du chômage. 
 
4. LA FORMALISATION DES ENTREPRISES 
 
Le secteur informel est à plus de 95% des entreprises, plus de 60% de l’activité économique et 48% des valeurs ajoutees. Ces  entreprises peu créatrices d’emplois sont souvent non enregistrées, ne disposant pas d’informations financières fiables avec un management approximatif. Cette situation les prive de possibilité d’accompagnement financier et non financier et les exclut de fait de l’assiette fiscale. 
 
5. LA FORMATION DES ACTEURS 
 
Les demandeurs d’emplois souffrent principalement de problèmes d’employabilité en raison d’un système éducatif et de formation professionnelle défaillant. Les besoins du marché doivent etre dictés par les entreprises afin d’orienter les curricula. Cela pose par ailleurs, des difficultés d’insertion dans le cadre de l’auto emploi et de son financement. 
 
6. LE FINANCEMENT DES ENTREPRISES
 
Le financement reste le nerf de la guerre pour la création d’emplois durables que cela soit pour la création d’entreprises, le financement de la croissance des entreprises ou celui des entreprises en difficulté pour préserver les emplois menacés. 
Les contraintes de financement se situent à deux niveaux :
– le financement public sous forme de subventions pour les secteurs stratégiques et de soutien à l’auto emploi. Le cadrage institutionnel pour soutenir un tel schéma et la formation des acteurs en entrepreneuriat sont souvent les contraintes à la création d’emplois viables. 
– le financement privé devant être assuré par les banques locales reste aujourd’hui le nerf de la guerre en raison d’un secteur productif parfois mal organisé et d’un cadre prudentiel non adapté. 
 
QUELLES SOLUTIONS POUR L’EMPLOI ?
 
En fonction des contraintes des 6F, il urge de trouver des solutions parfois croisées et synergiques pour rendre nos entreprises compétitives, créer plus de valeur ajoutée et partager cette dernière à travers la création d’emplois. 
 
1.  LE FONCIER FREIN AU FINANCEMENT 
 
Ces deux contraintes sont intimement liées en terme de nécessité de sécurisation des investissements et de couvertures des risques auprès des donneurs de crédits. En effet, la terre doit appartenir à celui qui l’exploite sans possibilité d’aliénation. Pour éviter les spéculations foncières et l’accaparement des terres par les individus ou groupes spéculateurs, il faut aménager l’espace en zones d’habitation, zones de production et espace de vie commun (pâturage, routes, zones classées) en dissociant le statut juridique de ses différentes zones. 
Autant les espaces communs doivent rester dans le domaine national au bénéfice de la communauté, les aires d’habitation gardent leur statut privé et peuvent faire l’objet de transactions. Les zones de production auront un statut hybride qui requiert l’autorisation des pouvoirs publics pour faire l’objet de vente. Cette procédure qui existe dans le cadre des baux emphytéotiques doivent être étendus aux titres fonciers accordés aux privés et destinés à la production. 
Les groupes ou individus désirant exploiter du foncier du domaine national, doivent impérativement bénéficier des formalités d’immatriculation sans possibilité d’aliénation sauf autorisation expresse de l’Etat. Ils pourront toutefois donner en garantie ces terres auprès d’institutions financières qui pourront les réaliser en cas de défaut de paiement.
 
2.  MÉCANISMES D’INTERVENTION DE L’ÉTAT DANS LE SECTEUR FINANCIER
 
Le secteur financier sénégalais est largement détenu par des banques étrangères soumises aussi bien aux contraintes liées au dispositif prudentiel de la BCEAO qu’aux orientations stratégiques de leur maison mère. Seul un interventionnisme fort de l’Etat en conditionnant la dotation de ressources publiques, les mécanismes de garantie financière et de bonification de taux d’intérêt aux banques commerciales disposées à octroyer des crédits à des secteurs stratégiques de l’économie définis par l’Etat ou à des types d’entreprises s’engageant sur la création d’emplois selon des ratios à définir (nombre d’emplois VS montant financement). 
Ainsi, l’idée à la base serait de créer une masse critique d’entreprises citoyennes disposées à investir et à créer des emplois, tout en bénéficiant du soutien de l’Etat à travers les banques commerciales. Il ne s’agira plus de recréer la roue en mettant en place des structures ad hoc de financement telles la DER mais plutôt de créer un écosystème propice à la création de valeurs et d’emplois soutenu par l’Etat à travers les banques classiques. 
 
3. FORMALISATION DES ENTREPRISES ET FISCALITÉ 
 
Les entreprises bénéficiant du soutien de l’Etat viendront élargir la base de l’assiette fiscale et permettre la réduction du niveau d’imposition. 
La formalisation des entreprises du secteur informel passera forcément par les avantages octroyés par ce système aux récalcitrants qui, jusque-là, ne trouvent aucun intérêt à se formaliser juste pour s’exposer à la vindicte fiscale. 
 
4. LE CADRE INSTITUTIONNEL 
 
La mise en œuvre de ce mécanisme de performance doit être accompagné d’un cadre institutionnel adapté, avec des entités regroupées au sein d’un guichet unique au niveau de chaque banque où les entreprises pourront bénéficier mécanismes de garantie, de bonification et d’encadrement des entreprises. 
La fusion de la LBA et de la BNDE permettra l’émergence d’une banque disposant d’une taille critique en terme de total bilan et de ressources provenant essentiellement de l’Etat et de la Caisse des Dépôts et Consignations qui sera l’actionnaire de référence representant l’Etat au sein de cette nouvelle banque. 
Cette banque aura ainsi les coudées franche aussi bien pour financer de grands projets de l’Etat à travers le secteur privé national que les PME et TPE au démarrage et en croissance. 
Le dispositif institutionnel existant (FONSIS, FONGIP, ADEPME) peut être fusionné et allégé pour rendre son fonctionnement plus efficace en creant plus de synergie dans leur mode d’intervention. 
Au niveau de la formation des acteurs, le 3FPT devra faire sa mue en impliquant le secteur privé dans la création et l’accompagnement des écoles et centre de formation. Des modèles comme les Centres sectoriels de formation dans les métiers de l’agroalimentaire ou de l’automobile doivent être renforcés et multipliés dans d’autres secteurs d’activité avec une forte implication des entreprises du secteur privé.
 
LE SECTEUR AGRICOLE LEVIER A LA CRÉATION D’EMPLOIS
 
Si le secteur agricole est considéré comme un levier important à la création d’emplois, un certain nombre de pré requis doit être mis en œuvre. 
1.  Le développement de l’irrigation à travers la petite hydraulique (mini forages solaires et kit d’irrigation goutte à goutte) et la grande hydraulique en aménageant de manière exhaustive les grandes vallées que compte le pays. Les aménagements doivent amener l’eau jusqu’en tête de parcelles avec un système de paiement de redevances par les bénéficiaires pour perenniser les investissements. Les sociétés d’aménagements (SAED, SODAGRI) doivent être autonomisees et mises sous tutelle des associations de producteurs et des agroindustriels des filières concernées. 
L’Etat interviendra à deux niveaux :
– accompagner les sociétés d’aménagement dans la levée de fonds pour réaliser de grands investissements hydroagricoles 
– subventionner le matériel d’irrigation dans un cadre maîtrisé en partenariat avec les banques locales selon le principe de décaissement de la subvention après réalisation des équipements. 
 
2.  La formation des acteurs à travers les lycées agricoles et la formation continue pour une maîtrise des itinéraires techniques
 
3. Élaborer un cadre de partenariat entre l’agriculture familiale et l’agribusiness afin d’assurer un transfert de technologies et de capitaux vers la base et rendre performante les filières agricoles. 
 
4. Identifier des filières agricoles porteuses 
Il faudra identifier des filières où le Sénégal bénéficie d’un avantage concurrentiel certain et ne pas subir la tyrannie de l’autosuffisance alimentaire. Pour les produits alimentaires stratégiques, l’Etat doit assurer une production de sécurité afin de se prémunir de l’inflation durant les périodes de crise. 
 
CONCLUSION 
 
Les contraintes à la création d’emplois sont diverses et interdépendantes. Elles requièrent des solutions holistiques avec l’implication de tous les acteurs et l’Etat au premier chef. L’interventionnisme de ce dernier est largement sollicité dans le cadrage institutionnel et dans le financement. Sa volonté politique sera forcément déterminante. 

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