Africaleadnews – (Sénégal) Elle aime se définir comme une « détective ». En combinant approche historique et théorie économique, l’Américaine Claudia Goldin, lauréate du prix Nobel d’Économie décerné lundi, a scruté à la loupe l’emploi des femmes, mettant en lumière les ressorts des inégalités salariales.
Première femme nommée à la tête du département économique de Harvard, cette économiste de 77 ans a retracé la longue épopée des travailleuses américaines vers l’égalité, soulignant le rôle de l’histoire et des avancées technologiques dans leur insertion sur le marché du travail, mais aussi le difficile arbitrage que doivent opérer les femmes entre carrière et famille depuis le début du 20e siècle.
Claudia Goldin identifie cinq périodes: d’abord les années 1900-1920 où le petit nombre de femmes diplômées ont dû choisir entre travail et famille (moins d’un tiers de celles qui travaillaient ont eu des enfants), puis les années 1920-1940 où de nombreuses femmes ont arrêté de travailler pour fonder un foyer en raison de la Grande Dépression.
Vient la coupure de la guerre et, jusque dans les années 1960, une période où les femmes ont été poussées à faire des enfants et n’ont repris un travail qu’après les avoir élevés avec des perspectives limitées. En réaction, et grâce à l’avènement de la pilule, leurs filles dans les années 1970 et 1980 ont privilégié leur carrière et plus d’un quart n’ont jamais eu d’enfants.
La dernière génération a essayé de combiner carrière et famille, aidée par les avancées de la procréation médicalement assistée, mais sans parvenir pour autant à l’égalité salariale ou dans le couple.
Dans son dernier ouvrage paru en 2021 aux Etats-Unis, « Career and family: women’s century-long journey towards equity », Claudia Goldin explique la persistance de ces disparités et comment elles s’alimentent l’une l’autre par le « travail vorace » (« greedy work »), c’est-à-dire le fait que de nombreuses professions rémunèrent de façon disproportionnée la disponibilité du salarié, les longues heures de travail et le travail le week-end.
« L’égalité dans le couple coûte de l’argent, et plus le travail est vorace, plus cette recherche d’égalité est coûteuse », souligne-t-elle.
– L’archéologie comme première passion –
Cette pionnière de l’étude du genre au travail, qui a aussi écrit sur l’esclavage, la corruption ou encore l’éducation, s’est d’abord intéressée à l’économie de la famille.
« Ce travail m’a occupé pendant un certain temps, mais vers 1980, j’ai réalisé qu’il manquait quelque chose. Je négligeais le membre de la famille qui subirait le changement le plus profond à long terme – la femme et la mère. Je la négligeais parce que les sources l’avaient fait », confie-t-elle dans un court essai autobiographique, publié en 1998.
Le texte s’ouvre sur cette phrase: « J’ai toujours voulu devenir détective et j’ai finalement réussi. » Enfant du Bronx, née le 14 mai 1946, Claudia Goldin se passionne d’abord pour l’archéologie, à la faveur d’après-midis passés auprès des momies du Museum d’histoire naturelle pour fuir la touffeur des étés new-yorkais.
Puis, elle découvre la magie du microscope et décide de percer les secrets des bactéries. C’est en pensant devenir microbiologiste qu’elle s’inscrit à l’université de Cornell. Mais le cours du professeur Alfred Kahn sur l’organisation industrielle lui fait découvrir un tout nouveau champ d’investigation: Claudia Goldin sera finalement économiste.
Cette femme élégante au carré blond et aux grands yeux bleu clair décrit avec passion et délectation les heures passées à éplucher les archives pour y dénicher des données sur les écarts de salaires, les affaires reprises par les femmes à la mort de leur époux, et même les politiques des entreprises relatives à l’emploi ou non de femmes mariées.
Passionnée d’ornithologie, de randonnée et de chiens – son golden retriever Pika possède sa propre page sur son site à Harvard -, Claudia Goldin est mariée à l’économiste Larry Katz. Elle a fondé en 2014 un programme visant à encourager davantage de jeunes étudiantes à poursuivre des études économiques.
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