Culture

Une réalisatrice restaure la ‘’mémoire’’ de l’actrice Mbissine Thérèse Diop

Une réalisatrice restaure la ‘’mémoire’’ de l’actrice Mbissine Thérèse Diop

La réalisatrice française Johanna Makabi évoque d’importants souvenirs du cinéma africain dans le court métrage documentaire ‘’Notre mémoire’’, qu’elle consacre à l’actrice sénégalaise Mbissine Thérèse Diop.

Le film a été projeté au Festival africain du film et de la recherche féministe, qui s’est déroulé récemment (16-18 juin) à Gorée.

Diop incarne le rôle de Diouana, l’héroïne de ‘’La Noire de…’’ (1966), un long métrage du cinéaste Sembène Ousmane, dont le centenaire de la naissance est célébré cette année.

Le synopsis du film ‘’La Noire de…’’ met en scène Diouana, une jeune Sénégalaise qui s’occupe des enfants d’un couple français vivant à Dakar. Elle part avec le couple en France, se retrouve prisonnière dans son appartement et devient bonne à tout faire. Racisme, sentiment d’isolement et perte d’identité la poussent au suicide.

Johanna Makabi, d’origine sénégalaise et congolaise, imite dès le début de son film les premiers plans de ‘’La Noire de…’’ en montrant une Mbissine Thérèse Diop vivant seule dans un appartement parisien, nettoyant sa salle de bains et cuisinant. ‘’C’est une manière, dit Makabi dans un entretien avec l’APS, de plonger dans cette histoire de cinquante-six ans.’’

Son film est un huis clos dans l’appartement parisien de l’actrice. Mbissine Thérèse Diop, qui vit en exil à Paris depuis 1976, à la suite de l’‘’ostracisme’’ dont elle a été victime après l’interprétation de ce rôle à cause duquel elle a été traitée de ‘’pute’’ par certains Sénégalais.

‘’Les gens disaient que j’étais une pute parce que, à cette époque-là, faire du cinéma en Afrique était considéré comme une manière de provoquer tout le monde. Je me suis battue pour l’Afrique et pour toutes les femmes, pour montrer qu’elles sont capables de faire de très bons films’’, dit Diop dans le film, estimant n’avoir pas été récompensée selon son mérite.

Mbissine Thérèse Diop plonge dans ses souvenirs du Sénégal, avec ses vieilles cassettes dans lesquelles on entend Youssou Ndour interpréter ‘’Mbadane’’, un morceau culte. Sous la caméra de Makabi, les bandes magnétiques de Diop diffusent aussi de la musique sérère et des entretiens radiophoniques. Elle évoque son expérience d’actrice noire dans les années 1960.

La réalisatrice française montre aussi les photos du tournage de ‘’La noire de…’’ et de sa maison inachevée à Dakar. Des images qui peuvent renvoyer à son rôle d’actrice ‘’inachevé’’.

‘’Notre mémoire’’ montre une Mbissine Thérèse Diop dansant, pleine de vie, plongée dans ses souvenirs, une affiche géante du film ‘’La Noire de…’’ à ses côtés. Vêtue d’un boubou brodé et très élégante, malgré la vieillesse et la souffrance vécue, dont elle se souvient encore.

Une ‘’grand-mère de substitution’’

Johanna Makabi dit avoir passé deux semaines avec ‘’cette grand-mère de substitution’’, dont elle est ‘’très admirative’’. ‘’Quand j’ai rencontré Mbissine, j’avais en tête l’idée que deux générations se rencontraient. C’est pourquoi le film s’appelle ‘Notre mémoire’. Ce n’est pas un banal film d’entretien. Je réfléchis à ma position de jeune femme qui rentre dans le monde du cinéma’’, explique la réalisatrice. Elle séjourne à Dakar, où elle prend part à une résidence d’exposition.

Pour Makabi, il est important de connaître surtout l’étape sénégalaise du parcours de Mbissine Thérèse Diop. ‘’Elle parle beaucoup de la jeunesse et de la transmission, qui est importante pour lui. Elle parle beaucoup de l’importance d’écouter les personnes âgées. C’est très dur pour elle de vieillir en France parce qu’il n’y existe pas cette importance donnée aux personnes âgées’’, dit la réalisatrice et productrice née d’une mère sénégalaise et d’un père congolais.

‘’Jeune cinéaste ayant étudié le cinéma à la Sorbonne, j’ai beaucoup ressenti la nostalgie de mes parents […] Dans l’apprentissage du cinéma, j’ai voulu me rapprocher de ma culture, grâce au cinéma. Les films d’Ousmane Sembène étaient pour moi un moyen de connaître ma culture sénégalaise, de voir le Sénégal de l’époque et de mieux le connaître.’’

Johanna Makabi a rencontré Mbissine Thérèse Diop en 2017, lorsqu’elle était chargée, en tant que stagiaire, de faire le casting du film ‘’Mignonnes’’ (2020), de la réalisatrice franco-sénégalaise Maïmouna Doukouré. Un film dans lequel Diop joue le rôle de grand-mère.

A Dakar, Makabi va exposer sur Mbissine Thérèse Diop, à qui elle ambitionne de consacrer un long métrage fiction. La restitution de sa résidence d’exposition mettant en exergue la mémoire de Diop aura lieu mercredi 6 juillet à la galerie ‘’Sélébé Yonn’’, située au Plateau.

L’histoire de l’actrice sera mise en exergue à l’aide de trois écrans, selon la réalisatrice. ‘’L’un des écrans montrera les photos d’archives de Mbissine sur l’île de Gorée. Elles ont été prises par Abdou Fary Faye (1936-2022). Il y aura aussi un [texte] d’Ousmane Sembène intitulé ‘Nostalgie’, qui a été tiré de son recueil de nouvelles ‘Voltaïque’, publié en 1962 chez Présence africaine et dédié au personnage de Diouana, un fait divers réel dont est inspiré le film ‘La Noire de…’’’

Des extraits de l’entretien de Makabi avec Mbissine Thérèse Diop seront diffusés sur l’un des écrans. La résidence d’exposition sera une occasion pour évoquer le traitement fait des archives retrouvées sur Diop par la direction de la cinématographie du Sénégal. L’affiche originale du film ‘’La Noire de…’’ sera présentée au public lors de la résidence d’exposition qui va durer un mois, selon Makabi.

Johanna Makabi est aussi la réalisatrice de ‘’Médise, cheveux afro et autres mythes’’ (2018). Elle a étudié le cinéma à la Sorbonne et est titulaire d’un master 2 d’anthropologie et documentaire de l’université Paris-Nanterre (2018).

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