A la uneAfrique

Charles Blé Goudé – « C’est Ouattara qui me retient à la Haye»

Charles Blé Goudé - « Je veux rentrer, c’est Ouattara qui me retient à la Haye»

 

Africaleadnews – (Côte d’Ivoire) C’est un Charles Blé Goudé sur son trente-et-un qui a reçu chaleureusement l’envoyé spécial du Magazine Afrique Demain (Investigations) dans sa résidence à Den Haag à La Haye (Pays Bas) en cet estival après-midi d’août. Le charisme intact, malgré les longues années en détention à la prison de Scheveningen, en compagnie de son coaccusé, le Président Laurent Gbagbo, dont il a été un farouche défenseur, l’homme, entouré de quelques amis, n’a rien perdu de sa verve. Acquitté depuis mars 2021, il semble être encore en prison, dans l’attente de l’autorisation de regagner son pays, dont il est éloigné depuis 11 longues années. Déplorant la situation, il appelle les autorités ivoiriennes, plus particulièrement, le chef de l’Etat, Alassane Ouattara, à plus de hauteur. Le « Général de la rue», surnom de son ancienne gloire, dénonce le mutisme coupable des organisations des défenses des Droits de l’homme, s’étonnant qu’elles ne s’étonnent guère du paradoxe que toutes les personnes poursuivies dans cette affaire ou contraintes à l’exil, ont regagné la Côte d’Ivoire. Sauf lui.

Vous avez reçu votre passeport ivoirien depuis le 30 mai 2022, après dix (10) mois d’attente. Qu’est-ce qui vous retient jusqu’à présent à La Haye?

Un citoyen, qu’il soit Charles Blé Goudé ou un autre, qui a fait l’objet d’un procès et qui a été acquitté devrait retourner dans son pays. J’ai été condamné à vingt ans d’emprisonnement ferme en Côte d’Ivoire pour les mêmes faits pour lesquels j’ai été acquitté devant la Cour pénale internationale(Cpi). C’est le principe du droit qui est violé. C’est pourquoi je suis encore ici (La Haye). Les raisons peuvent être autres que juridiques, certainement politiques. Aujourd’hui en Côte d’Ivoire, ce sont les autorités qui permettent à ceux qui sont en exil de rentrer. A preuve, le Président Gbagbo est rentré, tous ses anciens ministres sont rentrés, toutes les autres autorités qui lui sont proches sont rentrées. La seule figure qui est à l’extérieur et qui est pro-Gbagbo, c’est Charles Blé Goudé. Je pense qu’il faudra poser la question aux autorités de mon pays.

Avez-vous besoin d’une autorisation pour rentrer en tant que citoyen ivoirien ?

En principe non. Mais nous ne sommes plus dans le principe. Dès l’instant que vous avez votre passeport en tant que citoyen et votre titre de voyage, vous pouvez rentrer chez vous. Et c’est suite à la crise post-électorale de 2010-2011 que nous nous sommes tous retrouvés à l’extérieur pour protéger nos vies. Et, si j’ai mis plus de dix (10) mois pour obtenir un passeport, nous ne sommes plus dans l’ordre normal des choses. Nous ne sommes plus dans les principes. C’est pourquoi je suis encore à La Haye.

Avez-vous refuser de signer un protocole d’accord pour votre retour en Côte d’Ivoire ?

Aucun protocole d’accord ne m’a été proposé. On m’a simplement dit d’attendre. Le Chef de l’Etat de mon pays m’a dit d’attendre, qu’il préparerait mon retour. Donc j’attends. Comme tout le monde a attendu l’accord du président de la République et des autorités ivoiriennes avant de rentrer. Le Président Gbagbo est rentré avec l’accord du Président Ouattara ainsi que tous ceux qui lui sont proches, à savoir des anciens ministres, directeurs et autres.

Est-ce à dire que c’est le Président Ouattara qui vous retient à La Haye ?

C’est ça. C’est le Président Ouattara qui m’y retient.

Quel est le message de celui que l’on surnommait le Général de la rue à la jeunesse ivoirienne qui, le jour de votre retour, jalonnera les artères d’Abidjan pour vous dire «Akwaba »

Je suis en mission à la Haye. Dès ma première prise de parole à la Cpi, j’ai dit que je suis en mission. Si je suis encore ici (La Haye), c’est parce que cette mission n’est pas encore finie. Je demande à la jeunesse ivoirienne qui a certainement le regard rivé vers la Haye que tôt ou tard, nous nous rencontrerons. La Côte d’Ivoire n’est pas de passage, elle m’attend et je le sais. Je viendrai, pas pour triompher de tel groupe, mais plutôt pour rassembler les Ivoiriens pour que nous puissions bâtir notre pays dans le respect de nos différences. Je suis foncièrement démocrate. Je viens pour prendre ma place dans le processus de réconciliation qui est en cours, mais aussi prendre ma place dans le processus politique.

Comptez-vous faire une tournée de remerciements en Afrique pour vos sympathisants et autres qui vous ont manifesté leur soutien durant votre séjour carcéral à la Haye ?

Je suis d’abord africain avant d’être ivoirien. D’où le nom de mon parti le Congrès panafricain pour la justice et l’égalité des peuples (Conjep). Une fois que je foulerai le sol ivoirien, je préparerai une tournée africaine pour saluer des amis, mes compatriotes africains qui m’ont soutenu à travers des déclarations pendant que j’étais dans un trou qu’on appelle la Cpi. Un trou sans fond. Ce gourdin judiciaire. Nous avons souffert ensemble pendant que j’étais en prison. Si nous devons rire aussi, nous le ferons ensemble. J’ai déjà annoncé que j’irai au Cameroun. Mais, je visiterai aussi le Sénégal où ceux qui sont à la pointe du combat aujourd’hui sont des amis. Je ne connais pas personnellement Ousmane Sonko, mais nous avons échangé au téléphone. En revanche, je connais bien le nouveau maire de Dakar, Barthélémy Diaz qui est venu me rendre visite à la Haye. Et, il était aussi venu me voir en Côte d’Ivoire. C’est quelqu’un que je connais depuis plus de dix (10) ans. Il est devenu maire de Dakar, il a beaucoup souffert. C’est quelqu’un qui a connu la prison comme moi. Donc, je me rendrai à Dakar pour saluer Sonko et Diaz et tous les Sénégalais qui sont au combat.

Vous comptez donc soutenir Ousmane Sonko et Barthélémy Diaz qui sont de votre génération ?

Ils sont de ma génération. Et, certains comprennent mal les idées qu’ils défendent. Peut-être que le mot souveraineté peut-être gênant. Mais, l’Afrique entretient des rapports avec avec le reste du monde, nous voulons un partenariat gagnant-gagnant. De nos jours, l’Afrique est devenue une terre d’opportunité. Il y a récemment un défilé de voyages de chefs d’Etat en Afrique comme les Présidents français, russe et chinois. L’Afrique est devenue une terre de bataille de positionnement des Occidentaux. On a l’impression aujourd’hui que pour gouverner le monde, il faut passer par l’Afrique. Mais, qu’est-ce que l’Afrique gagne dans tout ça. Ce que nous demanderons à nos partenaires, c’est d’établir des rapports gagnant-gagnant et non de tutorat. C’est ce que Ousmane Sonko et Barthélémy Diaz demandent. Et je réclame la même chose. Tout a évolué. Le monde a évolué. Les mentalités ont évolué.

Vous êtes donc pour un changement radical des relations entre la France et l’Afrique ?

Pas forcément radical. Il faut juste adapter les relations entre les Etats avec les mentalités nouvelles. Toute cette jeunesse que nous voyons dans les rues de Dakar, d’Abidjan, Conakry, Douala, Ouaga…ce sont des jeunes qui ne veulent pas vivre reclus. C’est une jeunesse qui veut qu’on prenne en compte ses aspirations. Pour éviter qu’elle parte mourir dans la mer en méditerranée. Ceux qui embarquent dans les pirogues à la recherche de cieux plus cléments savent qu’ils risquent leur vie. Ils se savent en danger, mais on leur fait croire que le bonheur est de l’autre côté. Est-ce que le bonheur n’est pas finalement en Afrique. Parce que ceux chez qui nous partons, viennent chez nous pour explorer nos matières premières, nos sous-sols. Nous ne leur demandons pas de ne pas venir, mais nous voulons des partenariats gagnant-gagnant. C’est ce combat que je soutiens. Je ne suis pas dans un combat de rejet mais plutôt inclusif. Des relations qui prennent en compte les intérêts de nos partenaires que les nôtres. Mais nous nous dressons quand vous piétinez nos intérêts.

Charles Blé Goudé est-il candidat pour la présidentielle de 2025 ?

Pour réclamer l’aile du poulet, il faut être là où on le découpe (rires dans le salon). Onze (11) années d’absence ce n’est pas onze (11) jours. Il faut que je mette d’abord mon logiciel politique à jour et essayer également de cartographier les besoins du peuple et suivre la meilleure trajectoire. Mes parents, amis, sympathisants, militants…font de leur mieux pour que je puisse rentrer tranquillement dans mon pays.

Le 6 août, lors de son traditionnel discours à la Nation, à la veille de la fête de l’indépendance(7 août), le Président Ouattara a accordé la grâce présidentielle à son prédécesseur, le Président Gbagbo. Ce qui efface sa peine de 20 ans de prison. Comment analysez cette décision ?

Le parti du Président Gbagbo s’est prononcé sur la grâce. Ils ont dit que c’est un pas important, que ce n’est pas suffisant, mais ils l’ont acceptée. Je ne veux pas être plus royaliste que le roi. Une grâce c’est un pardon. On l’accorde à qui on veut. Je salue ce geste qui est un pas vers la réconciliation du Président Ouattara qui a ordonné le dégel des comptes bancaires de son prédécesseur, le paiement de ses arriérés de rentes viagères. Pour la réconciliation et la paix sociale, on doit continuer à faire des efforts. Et je pense que le Président Ouattara peut encore faire beaucoup plus.

Pourquoi le Président Ouattara ne vous a pas intégré dans le décret de grâce, alors que vous êtes également condamné à 20 ans de prison ?

La grâce c’est un pardon. Le Président Ouattara a son agenda et sa démarche que je ne veux pas discuter. D’abord quand j’ai été acquitté par la Cpi, on a délivré au Président Gbagbo son passeport et moi non. Ensuite, il a été autorisé à rentrer en Côte d’Ivoire et moi non. Alors que nous avons été jugés ici devant la Cpi comme coaccusés. Il a été écrit noir sur blanc, Mr Charles Blé Goudé, bras droit de M. Laurent Gbagbo. Pourquoi donc, cette différence dans le traitement de nos dossiers.

Vous dénoncez donc cette politique de deux poids deux mesures…

Je ne veux pas me comparer au Président Gbagbo qui est un ancien Chef d’Etat. Il était en compétition avec le Président Ouattara, moi je n’étais qu’un supporter. Maintenant, quand vous êtes en prison et que l’on donne des faveurs à votre coaccusé, vous espérez en bénéficier aussi.

Comment sont vos relations avec le Président Gbagbo ?

Rien n’a changé dans nos relations. Juste qu’il est rentré en Côte d’Ivoire et que je suis encore ici (La Haye). Alors que j’ai été l’un de ses soutiens sans faille. Ce qui m’a emmené ici (La Haye). Je ne suis pas en vacances à la Haye et je n’ai rien volé au Président Ouattara. Je suis à la Haye parce qu’on me considère comme un acteur majeur qui a soutenu le Président Gbagbo de manière très farouche.

Est-ce la raison pour laquelle, on dit que vos relations sont froides ?

Certains passent leur temps à inventer des conflits entre deux personnes. En réalité, c’est ce qu’ils souhaitent entre le Président Gbagbo et moi. Ce sont des gens qui ont déjà enterré le Président Gbagbo dans leur esprit. Bizarrement, ces mêmes personnes courent après dire qu’ils sont proches du Président Gbagbo. Ce sont des hypocrites. J’ai soutenu le Président Gbagbo et je ne le regrette pas. Nous avons été jugés et acquittés. Et je suis fier de ne pas l’avoir trahi. Face à la grande tribune de la Cpi où ma vie s’est jouée. Maintenant pour des querelles de positionnement, je ne suis pas concerné. Moi, je ne suis pas un sac à dos. Comme le fleuve, je vais faire mon propre lit.

Quelles sont vos relations avec l’ex-Première Dame Simone Gbagbo ?

Nous avons de très bonnes relations. Tout comme j’ai de bonnes relations avec le Président Gbagbo. Je communique avec le Président Gbagbo quand c’est nécessaire. Mes relations avec Simone Gbagbo ne datent pas d’aujourd’hui. Quand nous étions au pouvoir, tout le monde savait la qualité de nos relations à la Présidence.

Communiquez-vous avec le Président Ouattara ?

Il m’a envoyé son chef de cabinet, c’est déjà un échange indirect. Mais, pour la réconciliation de la Côte d’Ivoire, on ne fera jamais assez. Nous sommes indirectement en contact.

Et le Président Henri Konan Bédié…

Oui j’ai eu à échanger avec le Président Bédié, mais il y a longtemps que nous n’avons pas communiqué.

Un autre fils de la Côte d’Ivoire, Guillaume Soro, vit aussi en exil depuis des années, écopant également d’une condamnation de 20 ans….N’est-ce pas le moment pour le Président Ouattara d’accorder le pardon à tout le monde ?

Pour la crise que notre pays a connue avec des milliers de morts, d’exilés, d’emprisonnés, je pense qu’il faut tourner la page. Les grandes nations sont celles qui savent tirer les leçons des crises qui les ont endeuillées. C’est le cas de l’Allemagne et de la France qui ont vidé leur contentieux pour passer du face à face au côte à côte. Aujourd’hui, le duo franco-allemand tient l’économie de l’Europe. Qui pourrait l’imaginer ! Il faut être courageux. Il faut faire le pas. Aujourd’hui, le Président Ouattara est celui dont la signature engage la Côte d’Ivoire. Moi je l’encourage à faire davantage pour rassembler les ivoiriens. La Côte d’Ivoire a besoin de toutes ses filles et de tous ses fils. Moi je ne sais pas ce qui l’oppose à son filleul, Guillaume Soro. Guillaume a dit que le Président Ouattara n’aurait pas tenu la promesse de faire de lui son successeur. C’est ce qu’il a dit. Il a dit que c’est le deal qui le liait au Président Ouattara. Je n’étais pas là et je ne peux trop me prononcer là-dessus.

Quelles sont vos relations avec Guillaume Soro ?

Depuis qu’il est passé me voir ici en 2019, je peux dire que nos relations ne sont pas au beau fixe.

Est-ce qu’on peut s’attendre à une alliance des deux formations politiques le Conjep (Congrès panafricain pour la justice et l’égalité des peuples) et le Gps (Générations et peuples solidaires) à des joutes électorales ? 

Nous n’avons pas la même démarche que le Gps, ni la même idéologie encore moins les mêmes moyens de lutte. Moi je ne suis pas pour les armes. Moi je suis un démocrate dans l’âme. La preuve, je suis là (à l’étranger) depuis plus de onze ans et tout le monde est rentré. N’empêche, je suis resté calme. La seule manière d’accéder au pouvoir, c’est les urnes. Voilà la différence des moyens de lutte entre les autres et moi. Mais tout peut changer et on ne sait jamais.

Qu’est-ce qui est à l’origine de la froideur de vos relations ?

Je ne sais pas. Depuis qu’il est parti (après une visite en 2019 à la Haye), il ne m’a plus rappelé et je n’ai pas essayé de le rappeler. On n’est plus en contact. Cela dit, il demeure mon ami pour les relations que nous avions eues dans le passé. Parce que moi, je ne crache pas sur mon passé. Mais je dis bien qu’une amitié n’est pas un projet de société. Il y a des principes de vie, des valeurs.

Comment avez-vous vécu votre acquittement ?

C’était un soulagement. Parce qu’il n’est pas aisé que votre image soit associée à des crimes contre l’humanité. C’est assez grave. Pour un jeune qui s’est battu toute sa vie durant pour les libertés. C’était difficile pour moi de voir mon image associée à des crimes. Heureusement, mes actions ont confondu la thèse du procureur. Les faits ont pris le dessus sur la loterie judiciaire. Ce jour-là, mon sang a fait un tour. J’ai dit enfin nous y sommes. Parce que le 31 mars 2021, nous étions en appel, après avoir été acquitté le 15 janvier 2019 et remis en prison avant d’être à nouveau acquitté définitivement. Le 1er février de la même année (2019), le procureur ne nous avait pas lâché. De 2019 jusqu’à 2021, il a fallu attendre deux ans pour que notre acquittement soit confirmé. C’était un long chemin, mais la vérité prend toujours tout son temps. Ce jour-là, j’ai pensé à tous mes amis et à tout ce qui s’est passé. Mais en même temps, j’avais recommandé à mes partisans d’avoir le triomphe modeste. Parce que dans tous les cas, notre pays est en crise. J’étais content d’être acquitté, mais c’est une victoire en demi-teinte parce que je suis encore ici (à la Haye).

Des anecdotes à raconter à la Haye…

(Rires) Je me rappelle le dernier passage du témoin du Procureur. C’était la Professeure Hélène Etté, elle est médecin légiste. Elle était le dernier témoin du procureur. Quand elle avait fini sa déposition, nous retournions au Centre de détention où on nous a enlevé nos menottes et le Président Gbagbo me tape à l’épaule et me dit : «Mbappé», c’est comme ça qu’il m’appelle «c’est le dernier témoin qui est là. On va être acquittés.»

Le 31 mars 2021, nous rentrions dans la salle d’audience pour le procès en appel. Il devrait démarrer à 15 heures. Et jusqu’à 15 heures 20 minutes, aucun juge ne s’est présenté dans la salle. Et le Président Gbagbo m’appelle et me demande «Pourquoi cette longue attente». Et je lui explique qu’il y a une panne de micro. Et là, il me dit «Pourquoi, ils attendent jusqu’à aujourd’hui pour évoquer une panne de micro ? Mais, qu’on en finisse». Et quelques minutes plus tard, le juge de la Chambre d’appel s’installe et commence à faire la lecture de sa décision. Le Président Gbagbo me fait signe et me dit, «c’est plié», je lui dis mais Président attendons un peu, il me répète, «j’ai dit c’est plié».

Où en êtes-vous avec votre plainte contre la Cpi pour la réclamation de dommages et intérêts de 819 300 euros( 536 641 500 F Cfa) pour erreur judiciaire ?

La demande a été rejetée. Je savais que la Cpi ne pouvait pas se dédire. Mais, j’ai voulu aller jusqu’au bout de mes droits. Ils disent qu’ils ne m’ont pas fait de préjudice. L’histoire retiendra ça.

Comment analysez-vous le retour de Tidjane Thiam après 22 ans d’absence ?

Je ne voudrais pas faire trop de commentaires. Mais la bonne question à poser serait de savoir les raisons de son absence pendant 22 ans. Quelles étaient ses raisons, moi je ne les connais pas. En tout cas, la Côte d’Ivoire est son pays et il est libre de rentrer après des années d’absence. Et je ne souhaite vraiment pas qu’on en fasse un débat. Tidjane Thiam est une fierté pour notre pays à l’extérieur. Et j’ai été content de le voir rentrer dans son pays, parce que la Côte d’Ivoire a besoin de tous ses fils.

Que pensez-vous de la montée de l’opposition au Sénégal ?

En réalité, le Sénégal en matière de démocratie est un exemple en Afrique. Il y a eu des alternances et les Sénégalais ne sont pas des gens qui se laissent piétiner par les politiques au pouvoir. Cette montée de l’opposition démontre qu’il y a des attentes de la population qui n’ont pas été satisfaites par le pouvoir en place. Ils ont donné mandat à un Président et ils estiment avoir été déçus. Je ne suis pas au Sénégal, je n’ai pas la réalité du terrain, mais cette montée de l’opposition prouve que le peuple compte sur elle pour satisfaire des besoins. Et ceux qui portent ce combat sont de la nouvelle génération, à savoir Ousmane Sonko et Barthélémy Diaz. Au-delà du Sénégal, l’Afrique est en mouvement. Nous avons une jeunesse qui veut un changement, une autre manière de gérer l’Afrique. Cette jeunesse ne veut plus laisser l’Afrique à la traîne des autres nations.

Que pensez-vous des troisièmes mandats devenus monnaie courante en Afrique ?

Je suis contre le troisième mandat, pourvu que dans les Constitutions il soit bien écrit «nul ne peut exercer plus de deux mandats». Je ne sais pas pourquoi nos Chefs d’Etat, nos dirigeants manipulent les Constitutions pour créer des crises inutiles. George Washington n’est plus, les Etats-unis n’ont pas disparu, le Général De Gaulle n’est plus, la France n’a pas disparu, Winston Churchill n’est plus, l’Angleterre n’a pas disparu. Nos dirigeants doivent savoir partir pour donner la chance aux autres générations de mettre leurs compétences à la disposition de leur pays. Il faut éviter de personnaliser le pouvoir. Voilà ce qu’il faut comprendre.

Il y a aussi une récurrence des coups d’Etat. C’est le cas au Mali, au Burkina Faso, en Guinée…

Moi je ne peux jamais justifier un coup d’Etat. Un coup d’Etat, comme son nom l’indique, est un coup contre la démocratie. Et je ne peux pas le soutenir. La pratique du pouvoir en Afrique expose et humilie l’Afrique. Parce qu’elle prête le flanc à des coups militaires qui pouvaient être évités. Le militaire à sa place dans les casernes, les politiques sur le terrain. C’est cette tendance à tripatouiller les Constitutions, à piétiner les autres, qui est à l’origine de ces séries de coup d’Etat. Il faut que l’Afrique comprenne que l’alternance est une chance. Le fait de savoir qu’au moment où on est au pouvoir, les lois qu’on est en train de prendre peuvent s’appliquer à nous quand nous serons un simple citoyen, doit nous pousser à faire très attention. Un Président peut devenir un citoyen lambda demain et vice-versa. Moi je ne suis pas pour les coups d’État, je suis pour l’alternance.

Qu’est-ce qui vous manque de plus après une absence de onze années ? 

L’Afrique me manque, mon pays me manque, mes amis. Mais je ne suis pas un homme venu en vacances. Ce qui me manque le plus, c’est le respect de nos lois.

Avez-vous saisi la Cour de justice des droits de l’homme des Nations unies pour rentrer en Côte d’Ivoire ?

Toutes ces organisations sont devenues muettes comme des carpes sur mon sujet. Tout comme les organisations des Droits de l’homme en Côte d’Ivoire. Comme si ce que je vis est dans l’ordre normal des choses. Alors que la Constitution ivoirienne dit que nul ne peut être contraint à l’exil. J’ai été transféré à la Cpi pour des faits relatifs à la crise post-électorale (2010-2011) dans mon pays. Six ans après, je suis acquitté, deux après un appel, mon acquittement est confirmé. Et je suis encore ici (à la Haye), pendant que tous ceux avec qui nous étions autour du Président Gbagbo sont rentrés. Le Président Gbagbo que je soutenais lui-même est rentré. Moi je suis encore ici (à la Haye). Ce qui n’a aucune explication.

Vous êtes un danger en Côte d’Ivoire ?

(Il nous coupe) Un danger pour qui, la démocratie à laquelle je veux participer ? Je lance un appel : je veux rentrer dans mon pays. Je veux rentrer chez moi. Mon retour n’est pas un danger pour la démocratie encore moins pour la réconciliation.

Afrique Demain

Articles similaires

Laisser un commentaire

Bouton retour en haut de la page