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Amadou Ba : le « successeur désigné »

Amadou Ba : le "successeur désigné"

Tel un fils de milliardaire déshérité juste avant la mort de ses parents, Amadou Ba est le candidat qui ne devait manquer de rien et qui se retrouve totalement démuni et esseulé, faute d’un soutien de son parti et de son mentor, Macky Sall.  

Tout ou presque lui était servi sur un plateau d’argent. Désigné candidat de la grande coalition Benno bokk yaakaar, Amadou Ba devait compter parmi les super favoris de la présidentielle de 2024. Il devait bénéficier d’un appareil solidement implanté à travers le pays, sans compter le bilan matériel de Macky Sall, mais aussi son crédit personnel.

Mais comme un château de cartes, tout s’est effondré d’un seul coup. Accusé de corruption sur des juges, Amadou Ba a vu ses accusateurs bénéficier d’un soutien de son camp. Pendant ce temps, il n’y a presque personne pour le défendre et lui aussi, en dehors d’une petite réaction, est resté étrangement muet, pour des accusations aussi graves. Depuis lors, le fossé s’est creusé entre lui et Macky Sall.

Aujourd’hui, il est le candidat sans domicile fixe, le successeur déshérité. Sa maison (Apr) ne veut pas de lui, et le père de famille, Macky Sall l’a totalement isolé. Il suffit de le voir battre campagne, presque tout seul pour s’en convaincre. Lors de la convocation du comité électoral, seuls deux ministres se sont présentés, selon des informations : Abdou Karim Fofana et Pape Malick Ndour. Le reste du gouvernement était aux abonnés absents.

Il est vrai que lors du dernier secrétariat exécutif national de l’Apr, tenu mercredi 13 mars, Macky Sall a renouvelé sa confiance à Amadou Ba, selon plusieurs médias. Mais les signes de la rupture sont trop manifestes pour passer inaperçus. Lorsqu’une coalition, majoritaire de surcroît, attend 5 jours après le démarrage de la campagne pour apporter du soutien à son candidat, c’est qu’elle ne souhaite plus sa victoire. Du moins, elle n’y croit plus. Il s’y ajoute qu’après avoir quitté la tête du gouvernement, le prédécesseur de Sidiki Kaba à la primature a vu ses hommes être chassés de la nouvelle équipe. Ce qui le fragilise davantage.

En dehors de la coalition, ses adversaires de l’opposition veulent lui coller l’image d’un fonctionnaire milliardaire, ce qui ferait de lui l’adepte de la mal-gouvernance, le prototype de la prévarication des ressources publiques.

Pourtant, sa désignation comme candidat de Benno sonnait comme une consécration, certes lente, mais sûre. Lorsqu’il était nommé Ministre de l’économie et des finances, l’inspecteur des impôts et domaines était vu par l’opinion comme un technocrate. Son passé politique au Pds mais surtout au Ps était inconnu du grand public.

Ascension et chute

Ainsi, l’ancien patron de la DGID qui avait suspendu ses activités du Pds après la défaite de Wade et ne tardera pas à arborer ses nouvelles couleurs marron-beige. Il est envoyé aux Parcelles Assainies, son ancien fief socialiste où il a connu une lutte fratricide.

Rapidement, Amadou Ba gagne des galons au sein de l’Apr, aidé en cela sans doute par le stratégique département de l’économie et des finances qu’il a occupé pendant des années. Après la défaite de Mimi aux locales de 2014, c’est lui qui est chargé de diriger l’équipe aux législatives de 2017. Il sort victorieux de ce scrutin sans que l’on ne sache réellement son poids électoral. Prenant davantage du volume, Amadou Ba se voit attribuer des ambitions présidentielles. Ce qui apparemment n’est pas du goût de Macky Sall qui le fait changer de ministère avant de le sortir du gouvernement.

Durant tout le second mandat, il y a eu une sorte de jeu de chat et de souris entre lui et Macky Sall. Amadou Ba n’est plus aux affaires, mais il reste silencieux, patient.

Quand vient le moment de choisir un nouveau Premier ministre, le natif de Niarry Tally, qui avait toujours évité la confrontation, sera récompensé. Cependant, il sera un PM très peu visible, assez amorphe et beaucoup critiqué en cela. Malgré tout, il a fini par s’imposer à Macky Sall qui ne pouvait pas trouver meilleure trajectoire dans son camp. Ancien ministre de l’économie et des finances, Amadou Ba a pu étoffer son carnet d’adresses au département des Affaires étrangères avant d’atterrir à la primature. Il avait auparavant servi dans la fonction publique pendant une vingtaine d’années. Ce fonctionnaire est donc un vrai commis de l’Etat. Ainsi, de par son ascension, il était le candidat presque naturel.

Un parti dans le parti

Seulement, il est aussi le mal aimé d’une partie de la famille. On le voit non pas comme un fils légitime, mais un enfant adopté, puisqu’il n’est pas membre fondateur de l’Apr. Il fait face à une fronde ouverte au sein du parti, sans compter les défections officieuses. Au sein de l’Apr, on reproche à Amadou Bâ de ne pas s’appuyer sur le parti, mais sur ses hommes. En d’autres termes, il veut avoir son parti au sein du parti, voire de la coalition.

Les législatives de 2017 en sont un exemple patent. Amadou Ba qui dirigeait la liste de Benno avait sa jeunesse généralement habillée en t-shirt noir et toujours positionnée en première ligne. Pendant ce temps, les jeunes de la Cojer qui étaient derrière faisaient tout pour saboter les meetings.

Pourtant, Amadou Bâ était vu comme le responsable qui pouvait rassembler la grande famille Benno bokk Yaakaar. Il faut dire qu’il est un homme courtois, il n’est jamais dans les attaques personnelles encore moins dans les invectives. Il est calme et posé, jamais dans l’excès.

Mais sa force semble être aussi sa faiblesse. Cette attitude vue par d’aucuns comme de la politesse est conçue par d’autres comme un déficit de personnalité. En fait, Amadou Ba n’a jamais su s’affranchir de la tutelle de Macky Sall. Et c’est ce qui fait qu’il n’a jamais été dans les habits d’un futur président. Macky le sortant est plus visible que son dauphin désigné. Certains voient en lui ce fils à Papa qui a peur d’aller à la confrontation. En somme, un Karim Wade version Apr.

Trop amorphe, malgré son vécu

Pourtant, Amadou Ba s’y connait très bien. Fils de Marième Fall, militante socialiste, il a pris le relais de sa mère, après ses études. Dans les années 90, il a été un jeune loup bien distingué aux Parcelles assainies, un quartier qu’il a parcouru pour s’imposer. ‘’Il restait là jusqu’à 2h du matin avec nous à faire du porte-à-porte’’, se souvient Serigne Wagane Sougou, un ex-baron Ps de la zone.

Jeune cadre aux impôts et domaines, l’ancien élève de l’école primaire Route des puits a été coopté par Mamadou Diop, l’ancien maire de Dakar. A la fin du travail au bureau, le diplômé de l’Ena filait droit vers les PA. Il était plus facile de le retrouver dans son fief politique que chez lui à Nord Foire. ‘’Il était aux Parcelles de 13h à 14h 30 mn, puis de 21 à 3h et même parfois 4h du matin”, souffle une ancienne militante.  Selon elle, il y a des jours où le père, qu’il es,t achetait des sandwichs pour ses enfants à midi pour les laisser à la cathédrale afin de se rendre aux Parcelles assainies.

En fait, l’ancien socialiste devait livrer une bataille acharnée contre Tété Diédhiou et Lamine Fall pour être coordonnateur de l’Union locale des Parcelles, mais aussi pour le poste de député en 1998. En fait, Amadou Bâ était le pion de Mamadou Diop, puissant maire de Dakar qui s’était engagé dans un conflit contre la direction du parti.

C’est dire que l’homme a un vécu politique, même si son engagement était moindre du temps du Pds. Aujourd’hui, il se retrouve à nouveau en position de combat, mais semble ne pas avoir de l’énergie pour se battre. A 62 ans, on dirait, pour reprendre une expression d’un doyen de la presse, « qu’il a été corrompu par l’âge ».

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