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Les boss du Fmi, Bm, UE au Sénégal- Pourquoi le Sénégal est courtisé

Fmi, Bm, UE : Les dessous d’un tourisme géostratégique

En l’espace de 4 mois, Dakar a accueilli les dirigeants du Fmi, de la Banque mondiale et de l’Union européenne. Au-delà du discours officiel, les profils et le contexte sénégalais indiquent qu’il y a des dessous géostratégiques.  

La Directrice générale du Fmi en décembre 2021, le président allemand puis la présidente de la Commission européenne en février et maintenant le président de la Banque mondiale en mars 2022 sans oublier la directrice générale de l’Unesco. Depuis quelques mois, le Sénégal est devenu un carrefour pour les décideurs occidentaux. Et les profils des visiteurs indiquent clairement qu’il est question de finance, d’économie et d’investissement.

Il s’agit, pour l’essentiel, des leaders des deux grandes institutions financières contrôlées par l’Occident (Fmi et Bm) et du bras technique de l’Union européenne, la commission. Dakar semble revêtir ainsi une importance capitale aux yeux des Occidentaux. Pour le cas du président de la Banque mondiale, « il s’agit de son premier voyage officiel au Sénégal et en Afrique de l’Ouest et centrale en tant que président du Groupe de la Banque mondiale », d’après un communiqué de l’institution.

En plus des actes, il y a le discours officiel parfois très laudateur envers le président Macky Sall. « Cette année avec la présidence de l’Union africaine et en accueillant le forum mondial de l’eau à Dakar, le Sénégal démontre un leadership international marquant », a déclaré David Malpass, président du Groupe de la Banque mondiale avant même son arrivée à Dakar.

Même discours de la part de la Directrice du Fmi. « Le président Macky Sall a mené un lobbying pour l’allocation de Droits spéciaux pour l’Afrique et le plus gros montant de l’histoire que le FMI a attribué, à savoir 650 milliards de dollars », ajoute Kristalina Georgieva.

« Il n’y a pas de gratuité dans les relations internationales »

L’Occident a-t-elle envoyé ses émissaires louer le leadership de Macky Sall ? Pas vraiment ! Ce n’est pas non plus pour profiter du soleil de Dakar, à moins que ses rayons ne soient géostratégiques. Le choix du Sénégal par Ursula Von Der Leyen pour annoncer « plus de 150 milliards d’euros par le programme Afrique-Europe » est assez révélateur.  « Il n’y a pas de gratuité dans les relations internationales. Aucun geste n’est anodin. Ce sont des experts qui se penchent dessus et ce sont des jeux d’intérêts qu’il y a derrière », tranche le journaliste Ibrahima Souleymane Ndiaye.

Pourtant, si l’on en croit le banquier Habib Ndao, « les bailleurs de fonds sont venus au Sénégal pour des raisons purement économiques ». D’après le patron de l’Oqsf, le Sénégal a respecté ses engagements à travers l’Instrument de coordination de la politique économique  (ICPE), suite à la mobilisation de ressources de la part des Ptf. Ce qui a permis de retrouver une croissance de 6,1% en 2021.

C’est donc pour mesurer le niveau d’accompagnement dont le Sénégal aura besoin eu égard aux circonstances nouvelles que les Ptf se sont déplacés. Ceci afin de déterminer les ressources additionnelles.

Commercer « sans tenir compte de leur idéologie »

La deuxième raison, ajoute Ndao, est que dans cette zone ouest africaine, le Sénégal fait partie des pays les plus stables sur le plan politique. La position géographique en est aussi pour quelque chose. « Ces institutions internationales, lorsqu’elles veulent accéder aux autres pays francophones de la sous-région pour l’ensemble des programmes qu’elles veulent mettre en place, elles veulent l’expérimenter à partir du Sénégal », confirme l’économiste Dr Souleymane Keïta. Mais pour ce dernier, c’est plus lié au fait que le Sénégal est un bon élève du Fmi et de la Banque mondiale.

Seulement, aucun de nos interlocuteurs ne se fait d’illusion. Ils savent qu’il y a d’autres raisons qui guident ces visites. D’ailleurs, c’est Habib Ndao qui rappelle que la logique du président Macky Sall est de lier une coopération économique et commerciale avec tous les pays, « sans tenir compte de leur idéologie ».

Or, depuis plus d’une décennie, la Chine et la Turquie sont devenus des partenaires privilégiés du Sénégal. Ils ont financé une bonne partie des grands chantiers de l’Etat. La Russie, moins présente à Dakar, marque ses empreintes dans le Mali voisin. Les liens séculaires avec l’Union européenne, la France en particulier ne suffissent donc plus.

Surtout que l’économiste Souleymane Keïta précise que les volumes d’exportation de la Chine et des Etats-Unis sont plus importants que ceux de l’Union européenne. « Ces 150 milliards d’euros sont importants pour l’UE pour ne pas perdre sa position privilégiée, car la nature a horreur du vide », conclut Keïta.

« Il est tout à fait normal que d’un point de vue géostratégique que l’Union européenne ne soit pas absente de cette partie de l’Afrique encore stable », acquiesce Habib Ndao.

« L’exploitation du pétrole suscite de l’intérêt… »

Pour le journaliste Ibrahima Souleymane Ndiaye, les considérations géostratégiques sont en vérité la principale raison de ces visites. « Ces trois institutions sont les têtes pont du capitalisme international. Or, depuis quelques temps, il y a une forte odeur d’hydrocarbures qui flotte sur le Sénégal : le pétrole, le gaz. Vous avez vu, suite au conflit en Ukraine, les tensions qu’il y a sur le marché énergétique », souligne-t-il. Même analyse de la part de Souleymane Keïta. « L’exploitation du pétrole suscite de l’intérêt tant au niveau des bailleurs de fonds que ceux qui veulent investir dans le pays ».

Ce que le journaliste veut souligner par là, c’est que l’appétit autour des énergies fossiles ne baisse pas, parce que, pour l’instant, il n’y a pas de plan B qui s’affirme, il n’y a pas une véritable alternative. Ce qui fait que l’odeur du pétrole et du gaz attire forcément.

Pour lui donc, la présidence du Sénégal à l’Union africaine n’est qu’accessoire par rapport à ce qui se joue. « Macky n’aurait pas été président de l’Union africaine que ces gens là seraient venus quand même. Mais c’est toujours bien de profiter d’un contexte pour avoir plusieurs cordes à son arc », martèle Ndiaye.

Inquiétude sur la neutralité du Sénégal à l’Onu

Il s’y ajoute que Dakar a récemment affiché une position qui a suscité moult interrogations en Occident, en France particulièrement. « La neutralité du Sénégal au dernier vote des Nations Unies a fait l’objet de toutes les Unes. L’ordre international est en train de bouger sérieusement suite au conflit ukrainien », fait remarquer Ibrahima Souleymane Ndiaye.

Sur des plateaux de télévisions occidentales, certains ont attiré l’attention sur la posture de Dakar qui a refusé de condamner la Russie. « Dominique de Villepin a nommément cité le Sénégal. Il a dit : la neutralité d’un pays comme le Sénégal doit nous parler ».

Ibrahima Souleymane Ndiaye rappelle que certains, par dérision, appellent le Sénégal, ‘’le fils ainé de la France’’. Or, quand le fils ainé joue la neutralité par rapport au père ou au parrain, ça doit parler au parrain. « Tous les observateurs honnêtes leur ont dit : faites attention parce que le Sénégal, d’habitude, n’est pas un pays neutre ».

A son avis, ce qui était basé sur une projection de 10 ans vient d’être accéléré par le conflit en Ukraine. Toutes les lignes ont bougé en 2 semaines. « Ça va justifier davantage l’intérêt stratégique que représente Dakar. Ça va renforcer la place de Dakar dans le jeu géostratégique », ajoute cet interlocuteur. On comprend donc mieux tout ce ballet diplomatique à Dakar.

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